Un vertige-vestige avertisseur
samedi 18 septembre 2010
C’est un vertige ou un vestige lié au sentiment de distance. C’est la difficulté encombrante de mettre des mots précis sur ces pensées douloureuses. Oui, nous manquons de temps et de force pour maintenir ensemble les deux pontons en dérive de tous nos regards séparés par le fleuve des souvenirs, souvenirs au présent inclus... Il faudrait mieux prendre soin des points de soudure transitoires qui peuvent toujours lâcher d’un coup, au moment inattendu. Il y a plusieurs manières de porter atteinte à cette douceur sécurisante de la « compréhension »… qui a proliféré, comme un tapis de mousse forestière abrité par l’ombre humide d’un sous-bois parfumé. C’est lorsque la lumière est trop crue qu’elle assèche les paroles, les transforme en brindilles trop nombreuses, cassantes et vulnérables aux intempéries. C’est lorsque il y a trop de passage au- dessus d’elles, sur la ligne d'erre des sentiers trop peuplés de marcheurs dont la plupart s’ignorent , se bousculent presque. Bien sûr, il y a l’attrait de la variété, de la nouveauté, mais comment préserver l’acuité des rencontres vivantes, s’il n’y a pas assez d’intimité pour une écoute réciproque et un peu prolongée ?
Le silence est un écrin, c’est aussi un sépulcre, un espace de recueillement. Nous avons besoin des deux ! Les mots nous abandonnent dès qu’ils prennent trop de consistance car ils nécessitent une vigilance, une présence à l’autre qui est toujours difficile à maintenir malgré les bonnes intentions, les attentions soit -disant privilégiées. Nous ratons si souvent le mouvement de réception, comme dans un jeu de ballon où le tir ignore ce qu’il induit d’effort conscient chez l’autre. Pour bien faire, et même si c’est insuffisant, il faudrait en revenir à ce ralenti qu’on voit dans certains films. Une vision séquentielle des moments d’échange où un retour en arrière est possible pour mieux comprendre ce qui s’est passé. Après seulement, on a quelques indices un peu fiables pour reconstruire une histoire, un récit « parlant »… Mais tout cela est extrêmement fatigant, on s’y anesthésie au bout d’un certain temps…Je pensais hier à cette question distinctement émergée de mes ruminations silencieuses et que chacun peut se poser un jour ou l’autre : « A qui appartient mon histoire ? ». En corollaire existe le problème de savoir qui est habilité à en faire le récit. Je suis frappée par le fait qu’il est rare que cette interrogation précède explicitement toute prise de parole orale ou écrite dans ce registre. Le pillage et le gaspillage sont les dégâts collatéraux permanents de cette entreprise de décryptage qui n’émeut pas tant de monde au regard du surnombre de gens concerné et surtout pas ceux qui en font commerce. Les plus vénaux recherchent les récits qui croustillent, qui émoustillent, qui font pleurer Margot, qui peuvent apporter de l’eau à leur moulin narcissique ou électoral. C’est parfois absolument n’importe quoi , et le cynisme de la saturation montre vite le bout de son nez de fouine nauséabond . Comment retrouver la pureté originelle du regard, sa marque d’étonnement et d’amour neuf pour la découverte ? « L’amour des commencements » écrivait Pontalis et aussi le goût d’un « Temps qui ne passe pas » où le sous-bassement inconscient de tout mouvement personnel devient enfin visible, comme le mécanisme d’une montre sous une monture transparente. Dans le livre de Claude Maritan assez technique et théoriquement audacieux, intitulé « Abîmes de l’humain / Essais de psychanalyse A propos de la sensation de n’être rien, et qui s’appuie notamment sur une tragédie d’ Euripide , les Bacchantes, il y est question de cette « angoisse de n’être rien » laquelle procède d’une histoire qui argumente ouvertement la différence entre narcissisme masculin et narcissisme féminin. Mais il y a du deuil et de la violence des deux côtés. Le rapport au corps y est fondamentalement distinct ce qui donne des jalons pour aborder la façon d’utiliser le langage à des fins sexuées. Le dialogue entre les sexes est « jouable » selon un mouvement qui permet à chacun de prendre conscience de ce qui a pu ou pourrait le sécuriser ou l’insécuriser dans l’énonciation. Toute profération de parole ou de silence a une histoire. Rien n’oblige en effet de la livrer en pâture aux lecteurs inconnus. On peut déjouer le facteur pudeur ou l’alibi propriété privée en « anonymisant » le donneur mais le résultat pour lui est quasiment le même. Franchissement d’une limite plus ou moins bien assumée, il y a un avant et il y a un après qui changent, de fait, la configuration de la mise en jeu intérieure . Du déjà vu côtoie du » à quoi bon ? « ou de toute façon les dés sont pipés, sans l’avoir voulu, c’est « invaincu » d’avance … Le sachant, on finit par se taire en gardant les yeux grand ouverts … Parmi les gens qui s’éprennent à écrire, les professionnels comme les participants d’ateliers d’écriture, on ne croise pas que des collectionneurs passionnés de mots , il n’est pas rare que se côtoient des personnes qui obéissent aveuglément à des pulsions de « vaincre l’invaincu » .Claude Maritan fait remarquer qu’ils se recrutent parmi « ceux qui sont […] porteurs de traces mnésiques de sensations corporelles brutes – réel non symbolisé- [et qui] se fixent si souvent le programme épuisant de vaincre leur propre inconscient par la force de leur caractère ! »… Il s’agit souvent de « ceux qui sortent d’une enfance lourdement carentielle, tant en paroles qu’en affection et en tendresse « . Ils en viennent à rechercher avec avidité le « féminin-objet », totalement imaginaire, qui viendrait « obtruer le trou résultant de la perte brutale du milieu féminin du gynécée, et toute la profusion des sensations corporelles qui s’y rapportent. Le sujet est d’autant plus attaché à cette création imaginaire qu’elle est l’unique vestige d’un monde perdu / d’un soi perdu. L’échec prévisible de ce programme (vaincre l’invaincu) conduit, aujourd’hui en analyse ceux qui osent encore espérer une solution humaine, une symbolisation, à leur problème ».
Merci pour ton commentaire. Il y en a très peu car je pense qu'il est très difficile de rebondir sur ce type d'écriture qui n'est pas une écriture complètement aboutie et présentable. Les lecteurs sont habitués à tout un système de balises qui contextualise la provenance des écrits et avec l'explosion des publications en ligne, la profusion est comme la forêt qui cache l'arbre que l'on pourrait rencontrer. Le fait d'arriver jusqu'ici est en soi miraculeux.Et cela me fait plaisir. J'aurais pu laisser ce que j'écris dans un tiroir, dans l'un des vieux ou jeunes carnets que je remplis selon mon humeur ou ma disponibilité. Mais la pratique d'internet donne envie d'écrire davantage et de conserver surtout ce qu'autrement on aurait sans doute détruit, archivé et sans doute oublié. Je suis une adepte de l'écriture de circonstance. Laisser venir les mots quand ils se présentent et essayer d'en faire quelque chose de lisible pour soi et pour les autres si on n'a pas trop honte. Je fais maintenant une distinction plus importante entre les auteurs qui écrivent pour eux ou quelques autres,et ceux qui cherchent à toucher un public plus large et qui en font un véritable métier.Je me place dans la première catégorie car pour bâtir une oeuvre littéraire reconnaissable, il faut je crois , y consacrer l'essentiel de sa vie et faire de bonnes rencontres pour diffuser ce que l'on souhaite après beaucoup de ratures et de recommencements. Mais bien des livres publiés aujourd'hui me tombent des mains. Je n'y trouve pas le charme et l'enchantement que j'ai connus à l'adolescence surtout, quand j'explorais le fonctionnement humain par les romans accessibles à nos âges. Il y a eu un moment où je me suis désintéressée des romans au profit des livres de psychologie et de psychanalyse. J'ai eu besoin de comprendre pour parvenir à me situer en tant que fille devenue femme et pour choisir un métier. Trente ans plus tard je fais le bilan. J'ai beaucoup plus vécu et lu qu'écrit et en cela je ressemble à la majorité des gens. Pour écrire, il faut en ressentir le besoin et se donner les moyens de le satisfaire. La trajectoire de Charles Juliet est à ce point de vue un bel exemple. A 23 ans dans son journal, il raconte qu'il a abandonné ses études de médecine pour tenter de devenir écrivain. Il a franchi toutes les étapes et a connu de nombreux échecs. Curieusement, c'est au moment où il a écrit un récit décrivant son enfance aux Enfants de Troupe et sa découverte de la sensualité féminine qu'il a touché le grand public. Il y a même eu un film avec le beau titre "L'année de l'éveil". Aujourd'hui son écriture est très différente de celle qu'il avait au tout début. Débarrassé de ses velléités d'appropriation du SAVOIR ( SAVOIR POUR POUVOIR , DOMINER ) au profit d'une quête de la connaissance de soi et de ses propres limites, Charles Juliet a élagué son propos à l'extrême et je préfère chez lui les poèmes au journal. Ce dernier dont le 6° tome vient de paraître est davantage le journal des rencontres importantes. Charles JULIET "a rejoint ses semblables" et il en est heureux. Qu'avez-vous lu de lui ? Etes-vous Lyonnais ? Savez-vous que son texte Lambeaux ( Le Récit sur les deux mères) va être rejoué en Novembre par Anne de Boissy au Théâtre de la Croix-Rousse ? C'est une bonne façon d'entrer dans son oeuvre je crois.
Rédigé par : LA CAUSE DES CAUSEUSES | dimanche 17 octobre 2010 à 19:44